Chronique du K-fé rencontre écrite par

Par Léonor Bolcatto

 

Ce jeudi 13 décembre, alors que nous sentions déjà l’atmosphère de Noël dans les rues et dans les vitrines des magasins, Jean During, l’invité du Kfé-rencontre, nous a permis d’échapper à cette traditionnelle cohue le temps d’une soirée, nous invitant à son tour dans son univers musical à l’occasion de la sortie en septembre d’un double CD de ses œuvres personnelles inspirées de musique iranienne, composées et enregistrées lors d’une résidence d’artiste.

L’ethnomusicologue Jean During, connu pour son travail sur les musiques persanes, et baloutches en particulier, commence par raconter sa rencontre avec l’Iran. Poussé par l’envie de découvrir un univers éloigné de sa propre culture et de ses habitudes, il s’y rend une première fois pour y apprendre la musique. Après quelques années passées en Iran, il revient en France, où il prend contact avec le milieu académique, encouragé par une grande figure de l’ethnomusicologie américaine : Bruno Nettl. Ce dernier lui suggère d’écrire une thèse car il n’y avait alors aucun écrit de la discipline sur la musique persane. Après son doctorat, il retourne en Iran grâce à une bourse de l’Académie de philosophie pour approfondir sa connaissance de la musique iranienne. C’est également à ce moment-là qu’il décide de faire sa thèse d’état grâce à laquelle il sera plus tard nommé au CNRS.

C’est après ce voyage qu’il va ensuite explorer les pays proches de l’Iran en Asie centrale : Azerbaïdjan, Baloutchistan (où il commence l’apprentissage d’une nouvelle musique), Ouzbékistan (où il resta 5 ans) et Tadjikistan.

Jean During détaille alors son apprentissage de la musique persane et sa démarche de compositeur : « comme en amour » dit-il « c’est facile au début et puis après viennent les difficultés ». En effet, si au départ cela semblait abordable de jouer deux, trois airs plus ou moins bien connus devant un public non connaisseur tout de suite impressionné par l’« exotisme » musical, la compréhension approfondie de ce répertoire et de son système demandait beaucoup plus de temps et d’efforts, de patience et de persévérance. L’une des difficultés premières pour quelqu’un venant d’une tradition occidentale savante, habitué à la partition écrite comme support mnémotechnique, est la mémorisation d’un répertoire principalement oral. Il a donc appris cette musique avec un maître, d’années en années, au prix de nombreux efforts. C’est après, et seulement après avoir passé du temps à écouter, jouer, sentir, comprendre, « digérer » cette musique, que Jean During s’est sentit assez « mature » pour en composer à son tour.  Selon lui, certains de ses morceaux ont un aspect répétitif, monotone qui peut amener son auditeur à « un état d’ennui profond », ce qu’il revendique en disant que la musique n’est pas seulement faite pour s’amuser.

Après l’audition d’un extrait d’une de ses compositions, un auditeur pose la question suivante: « que ressentez-vous lorsque vous composez ? » ce à quoi Jean During répond que lorsqu’il joue de la musique il est « connecté » et que souvent il pense à quelqu’un en particulier mais que la composition est une démarche de réflexion et de construction qui parfois peut être détachée d’un ressenti direct. S’adressant alors à l’un des musiciens ayant participé à l’enregistrement du cd et présent dans la salle, Jean During lui demande s’il aurait pu composer sans support visuel. La réponse dépend en fait de la longueur du mètre choisi. S’il s’agit de rythmes courts facilement mémorisables cela lui semble possible, en revanche pour des phrases très longues, comme 88 temps, le recours à l’écriture est nécessaire.

Il évoque ensuite le rapport au corps, disant que dans la musique classique iranienne il y a une totale négation du corps en opposition par exemple du monde non-classique turc dans lequel la participation du corps dans le jeu de l’instrument fait partie du « spectacle ».

Après s’être raconté par les mots et nous avoir livré des réflexions mêlées de souvenirs, Jean During nous a offert quelques mélodies pour trio de luths sur de la musique baloutche qui, selon lui, attire beaucoup les enfants. Il était accompagné de son fils (âgé de 10 ans) et de Jérôme Cler (ethnomusicologue et ami de l’invité).  Et c’est sur le souvenir des sons et l’envie d’aller creuser plus loin dans ce répertoire musical que la rencontre s’est terminée.

Pour écouter quelques extraits du disque:

http://archives.crem-cnrs.fr/archives/collections/CNRSMH_E_2012_012_001