Par Léonor Bolcatto

 


Photos: Natalia Parrado

« Tomber sept fois, se relever huit »

Mercredi 21 novembre 2012, à l’âge d’Or la Chine est à l’honneur. Tandis que la salle blanche de l’étage se remplit doucement du monde qui s’installe en discutant, François Picard, l’invité du jour, accueille chacun et tous avec un air calme et malicieux. Il choisit sa table et, en un clin d’œil la couvre des cinq gros volumes : sa thèse (deux volumes, 1990), la première version pour publication (deux volumes, 1992) et la version qui vient d’être publiée (2012). Les visiteurs viennent lui parler et il prend le temps de répondre à chacun. Finalement nous voilà trente, réunis autour de lui prêts à l’écouter se raconter, lui le chercheur, l’homme qui cherche, ou « l’homme qui se cache derrière le chercheur » comme le dit si bien Jeanne Miramon-Bonhoure. Et lui de se retourner pour vérifier s’il y a quelqu’un derrière lui.

François Picard est un ethnomusicologue spécialiste de la musique chinoise. C’est à l’occasion de la publication de sa thèse L’incantation du patriarche Pu’an, les avatars du syllabaire sanskrit dans la musique chinoise que nous l’accueillons. L’événement est mémorable puisqu’il a fallu attendre 22 ans après sa soutenance en 1990, après diverses péripéties académiques (des refus de publications) et un tremblement de terre à Kyoto en 1995 qui a enseveli le manuscrit accompagné d’une lettre de recommandation, pour enfin voir l’ouvrage sortir. Cet ouvrage publié aux éditions Peeters, avec le concours de l’Institut Belge des Hautes Études Chinoises, porte sur « L’incantation de Pu’an » (maître de méditation bouddhique du XIIe siècle), une prière bouddhique considérée comme très puissante au même titre que le « Om » car elle aurait pour vertu de propager le bonheur. C’est sans doute cette puissance qui lui est reconnue qui a valu à M. Picard quelques difficultés avant de parvenir à la faire chanter dans un temple. L’autre difficulté de cette étude a étéle texte (dont l’exemplaire qu’il nous a présenté avait été recopié par ses soins). Il a eu, en effet, beaucoup de mal à le déchiffrer et cela nonpar rapport à la compréhension du vocabulaire mais plutôt à sonassemblage qui lui semblait dépourvu de sens : « enfin un texte dépourvu de sens, ce n’est pas ‘je veux dire’, c’est ‘je dis’ » (à méditer..). Il a finalement trouvé ses réponses auprès de Madame Wetch de la Bibliothèque Nationale de France, érudite et amie de François Bernard Mâche (compositeur et musicologue).

Dans la salle, parmi les auditeurs attentifs, une question surgit : Qu’est-ce qui l’a amené jusqu’à la musique chinoise?

Il a débuté sa vie professionnelle en tant que clown et régisseur de théâtre et aujourd’hui il est professeur à la Sorbonne. Au départ, il n’avait pas pour objectif de devenir chercheur en ethnomusicologie mais, les conditions de l’intermittence du spectacle n’étant pas toujours évidentes, il aspirait à un peu plus de stabilité. Étant intéressé par la musique contemporaine et en particulier la musique électro-acoustique il envisageait de composer un opéra s’inspirant de la musique chinoise et d’une conception bruitiste. Il s’adressa à la maison de la radio. Et, avec une étonnante facilité il a finalement atterri dans le bureau de Jacques Dupont, respoonsable des musiques traditionnelles, puis celui de Pierre Toureille de la collection Ocora Radio France qui cherchaient justement des enregistrements de musique chinoise pour nourrir leurs émissions et disques. S’étant formé à la prise de son à l’Université de Vincennes, François Picard était la personne idéale pour être envoyée sur le terrain faire des enregistrements. Il a ainsi fait divers voyages pour rapporter des enregistrements qui étaient diffusés à la radio. Il était à ce titre souvent invité à intervenir dans l’émission.

Sa première rencontre avec l’univers musical chinois s’était faite par l’intermédiaire de sa sœur, Nathalie Picard, qui, lors de ses études de chinois en secondaire, a entrepris un voyage en Chine d’où elle lui a rapporté une flûte. Pratiquant déjà la flûte de la renaissance, cet instrument a attisé sa curiosité et l’a poussé à apprendre à en jouer. C’est dans ce cadre qu’il a fait la rencontre de son maître : Trn Văn Khê. Ce dernier l’a alors invité à son séminaire dans lequel il a eu l’occasion de jouer avec des chanteurs dont un, Shi Kelong, lui dit «  tu joues bien pour un français, tu devrais aller en Chine ». Il a alors eu envie d’aller apprendre les techniques sur le terrain pour les transmettre ensuite en Occident, c’était son projet, servir de pont entre deux cultures.L’imprévu a fait qu’il est parvenu de diverses manières à être un relais entre ces deux mondes apparemment tellement éloignés. C’est peut-être ainsi que l’homme a trouvé le chercheur qui se cachait derrière lui.

Avant de clore la rencontre, François Picard nous transmet un proverbe qu’il tient lui-même de Gagnon, professeur de sino-japonais [il n’y avait alors pas de cours de sino-japonais à l’INALCO, les jeunes chercheurs ont donc engagé eux-même un professeur à titre privé, mais hébergé par l’Institut des Hautes Études Chinoises du Collège de France]:

nanakorobi yaoki

七転び八起き

tomber sept fois, se relever huit

se prononce aussi

shichiten-hakki

しちてんはっこ

et en tous cas s’écrit

七転ハ起

qui se prononce

shichiten-hakki

il y a un objet et un geste qui sont liés :

avant de passer un examen, on fait basculer un poussah culbuto en disant la formule : le

culbuto tombe, se redresse, retombe, se redresse… et finit droit .