Ecoute en ligne des interventions enregistré durant la journée d’étude:

PROGRAMME Journée d’étude ethnomusiKa

4 janvier 2011, EHESS

Amphithéâtre François Furet : 105, bd Raspail, 75006 PARIS

9h00 Introduction ethnomusiKa

9h30 Le point de vue de Bernard Lortat-Jacob

Session 1: Histoire et ethnomusicologie – sources et fondements de la discipline

(Présidence non confirmée)

10h00 Pierre Marcotte

Achille Millien (1838-1927) : approche culturelle et épistémologique d’une collecte musicale en Nivernais et de sa publication

10h45 Jérôme Cambon

Les sociétés instrumentales en Anjou sous la Troisième République : des sources à l’écriture, une nécessaire objectivité

Pause

Session 2: Le positionnement du chercheur 1 – Terrain et investissement personnel

Présidé par Bernard Lortat-Jacob

11h45 Jeanne Saint-Sardos

Faire « bon ménage » avec son terrain : pour aller au-delà des a priori concernant le mariage sur le terrain.

Pause déjeuner

Session 3 : Le positionnement du chercheur 2 – pratique musicale, enjeux politiques et rapports de pouvoir

14h00 Emilia CHAMONE

Pratique musicale et recherche ethnographique : Batucada, Brésil.

Pause

Présidé par Julien Mallet

15h15 Romuald JAMET

La musique, vecteur de confiance dans un univers suspicieux : approche socio-musicologique des milieux anarchistes et autonomes parisiens et berlinois.

16h00 Aurélie Helmlinger

Position du chercheur et du musicien dans le contexte antillais, steelbands de Trinidad et Tobago

16h45 Conclusion/débat

17h15 Fin

Texte de l’appel à communication

La recherche en ethnomusicologie implique un investissement émotionnel. C’est d’ailleurs par là que commence bien souvent un « terrain ». Séduit par une culture, une musique, un instrument, un répertoire, une pratique, un lieu/un environnement, le chercheur se construit dans cet intense investissement avec les personnes avec lesquelles il travaille. Il apprend leur langue, leur histoire, les tenants et aboutissants de leurs pratiques culturelles, leur musique (sa théorie mais aussi souvent sa pratique) et il est bien souvent confronté aux conflits et tensions qui parcourent leur société. Cette relation, souvent désignée par le terme plus académique de « rapport au terrain », a contribué depuis les années 1960 aux nombreux débats épistémologiques questionnant l’objectivité des sciences sociales et plus particulièrement de l’anthropologie. L’immersion dans une autre société et la réflexivité du discours académique y sont présentées comme antagonistes et le discours du chercheur comme une lecture ancrée dans la subjectivité du langage.

Quelle place cette subjectivité du chercheur ethnographe (et, dans notre cas, bien souvent musicien) doit-elle occuper dans nos travaux ? Notre gestion du rapport au terrain dépend-elle uniquement de nos réactions face à des situations singulières (renvoyant au scepticisme des postmodernes) ou peuvent-elles être traitées à partir d’une ligne de conduite plus générale ?

L’objectif de cette journée d’étude est d’alimenter/de poursuivre la réflexion sur les influences que peuvent avoir les rapports de l’ethnomusicologue à son terrain et à la musique étudiée sur la production d’un travail de recherche, de la collecte des données à leur analyse. Nous souhaitons que ces rencontres et débats s’inscrivent dans une perspective historique et viennent confronter, enrichir le débat à la lumière de la réflexion théorique déjà existante à ce sujet.

Abstracts des Communications

Pierre Marcotte (doctorant, Ecole des Chartes)

Achille Millien (1838-1927) : approche culturelle et épistémologique d’une collecte musicale en Nivernais et de sa publication

En commençant mes recherches sur Achille Millien il y a un peu plus de deux ans, mon objectif était double. Il consistait d’une part à approcher de façon critique une pratique musicale en milieu rural, la chanson, à travers l’histoire d’un de ceux par qui cette matière nous est aujourd’hui connue. D’autre part, il s’agissait de revenir sur le contexte intellectuel général des études de folklore, et d’y situer la démarche de Millien avec tout ce qu’elle comporte à la fois de commun et d’original dans son époque.

Dans la mesure où les écrits théoriques de Millien sont pour ainsi dire inexistants, j’ai concentré mon étude, après une biographie intellectuelle détaillée, sur les deux grands gestes

culturels et scientifiques que sont la collecte et la publication de celle-ci sous forme d’objet livre. À travers ces deux axes de recherches, j’ai suivi, autant que possible, une démarche comparative.

Cela m’a permis de mesurer l’ambition assez exceptionnelle de la collecte de Millien, une des plus importante quantitativement sur le territoire français (2600 chansons), qui s’inscrit dans un projet d’encyclopédie folklorique du Nivernais à la maturation lente et à la réalisation continuellement repoussée jusqu’à la parution inachevée : seuls trois volumes de chants et chansons voient le jour entre 1906 et 1910 sur un ensemble de huit à douze volumes qui devaient aussi abriter des contes, proverbes, dictons, costumes, etc. Dans l’oeuvre de Milien il n’y a pas qu’un simple travail scientifique en jeu, mais un véritable projet culturel et patrimonial tout à fait représentatif, selon moi, des fondements de l’ethnomusicologie du domaine français.

Jérôme Cambon

Les sociétés instrumentales en Anjou sous la Troisième République

Des sources à l’écriture, une nécessaire objectivité

L’Anjou connaît sous la Troisième République un dynamisme musical remarquable, ses sociétés instrumentales concourant à la définition d’une culture populaire fondée sur l’éducation, la promotion intellectuelle et la moralisation de ses acteurs. Concerts, concours, fêtes, commémorations… les harmonies et les fanfares angevines se produisent en de nombreuses occasions auprès d’un public enthousiaste et assidu. Cette expression culturelle contribue plus largement au succès d’un courant musical majeur du XIXe siècle, le « mouvement orphéonique ». Confronté à un matériel musical varié, dense et souvent inédit, il a fallu employer des technologies récentes et concevoir des méthodes d’exploration originales indispensables à leur inventorisation, leur traitement et leur valorisation d’objectifs. Outre le dégagement de problématiques propres, la diversité des documents recensés a permis une réflexion globale sur la pratique musicale amateur. Ce travail s’appuie sur quatre grandes catégories de sources :

– Les sources manuscrites empruntent aussi bien à des domaines musicaux que généraux. Arrêtés préfectoraux, règlements, correspondances, délibérations municipales, affaires militaires ou encore fêtes et prestations populaires informent sur les modes de fonctionnement et les activités des sociétés.

– Les sources imprimées proposent des synthèses sur les esthétiques musicales populaires et savantes. La consultation des programmes des concerts, relevés dans la presse locale sur une période couvrant une cinquantaine d’années, s’est traduite par la constitution d’une liste de près de 4000 oeuvres exécutées par les musiques militaires et civiles. Les médias délivrent également de précieuses informations sur le déroulement des manifestations et leur réception par le public.

– Les sources iconographiques se présentent sous forme de cartes postales et d’affiches. Elles permettent de corroborer ou non des suppositions posées au préalable. En revanche, elles nécessitent un long et minutieux travail de recherche en raison de leur dissémination.

– Des sociétés instrumentales possèdent encore un fond de partitions anciennes conservé inégalement. La constitution d’un corpus d’oeuvres représentatives s’est appuyée, non pas sur les seuls aspects qualitatifs, mais aussi sur les critères quantitatifs. Les partitions adoptent deux présentations, l’une consistant en un conducteur visualisant l’ensemble des informations musicales, l’autre proposant les parties musicales séparées de chaque instrument encollées sur un carton. Cette recherche soulève diverses questions. Quelle dimension ethnomusicologique revêtent des sources écrites de première main ? Quel traitement faut-il leur réserver en vue d’une exploitation objective ? En quoi un choix pertinent d’oeuvres musicales nécessite-t-il une distance du chercheur ?

Jeanne Saint-Sardos

Faire « bon ménage » avec son terrain : pour aller au-delà des a priori concernant le mariage sur le terrain

Se marier avec une personne native de son terrain de recherche s’apparente encore souvent à un tabou et les a priori sur cette situation ne manquent pas. L’union est volontiers vue comme une annihilation de la distance entre le chercheur et son objet de recherche ; de ce fait, les capacités objectives du scientifique s’avèrent discréditées, et le statut même de ce dernier, remis en cause. Pourtant, le vécu de cette condition à la fois d’ethno(musico)logue et de « pièce rapportée » du milieu dans lequel on travaille amène à une vision différente. A travers mon expérience personnelle de cette situation, je rendrais compte de la compréhension de cette problématique par le chercheur lui-même et comment il peut gérer cette position particulière.

Avant tout, il est important de spécifier la place faite à l’ethno(musico)logue marié sur le terrain, que ce soit par le milieu scientifique, les personnes sur son terrain ou sa belle-famille et son conjoint. Celle-ci influence en effet la façon de se positionner du chercheur. Ce dernier jouit d’une liberté d’autant plus grande pour se présenter grâce à sa double position, mais l’utilisation optimale de cette liberté nécessite une exploration approfondie de sa pluri-identité. La conscience de ses différentes identités et la capacité à les utiliser se révèle essentielle pour se faire sa place et gérer sa propre instrumentalisation par les différents milieux qu’il côtoie.

D’autre part, le croisement entre enjeux professionnels et familiaux se retrouve constamment. Peut-on alors envisager les relations entre vies professionnelle et familiale comme « les autres »? Si les différences ne sont pas si grandes, certaines difficultés peuvent apparaître, notamment dans le partage familial de notions clefs pour le chercheur : le travail, la neutralité et l’objectivité. Les liens familiaux et affectifs avec la belle-famille ancrent aussi tout particulièrement l’ethno(musico)logue à un niveau local et sa manière de s’engager en ressent l’influence.

Cependant, les facultés objectives de ces chercheurs ne semblent pas si atteintes par leur statut particulier. Ce dernier les invite en effet fortement et rapidement à engager une réflexion sur eux-mêmes et leur influence sur le terrain. En outre, ils sont obligés de jouer constamment avec la distance à leur objet de recherche et peuvent acquérir d’excellentes capacités sur ce plan. Enfin, le mariage est-il une situation si particulière ? Toute relation de proximité avec le terrain n’amène-t-elle pas « objectivement » ce type de questionnement?

Emilia Chamone (Doctorante EHESS/Musique)

Pratique musicale et recherche ethnographique : Batucada, Brésil

Thématique : L’ethnomusicologue musicien de son terrain

Dans cette communication je voudrais présenter une récente recherche qui porte sur la construction d’une musique brésilienne à Paris, plus particulièrement celle produite par des groupes de percussions, généralement appelés « batucadas ». Dans un premier temps, j’ai analysé le processus d’élaboration du spectacle AfroBrasil, conçu par le groupe de batucada Zalindê, dans lequel j’ai participé comme musicienne et comme l’une des directrices musicales. Ensuite, mon enquête de terrain a multiplié ses objets d’observation : la mise en place d’un concours de batucadas, l’organisation et l’institutionnalisation des groupes de maracatu ainsi que l’établissement d’un réseau de coopération entre associations culturelles françaises et musiciens brésiliens.

Comment mon expérience musicale et mon implication directe auprès de groupes de batucadas pourraient faire avancer la connaissance sur cette musique ? En d’autres termes, dans quelle extension le double regard en tant que musicienne et anthropologue pourrait m’aider à décrire et à analyser ces pratiques musicales ? J’aimerais suggérer ici deux pistes d’investigation.

1) Remettre en question, d’une façon technique et précise, une série d’aspects dans la pratique musicale qui semblent « aller de soi ». La musique ne sera plus conçue comme un objet naturel ou un langage universel, mais comme le produit des actions humaines, toujours situées dans un contexte socio-historique et relevant des particularités de leurs situations d’énonciation.

2) Aborder les questions des difficultés liées à l’interprétation, mais qui sont fondamentales pour les musiciens, comme le swing par exemple : comment sonne cette une musique dite brésilienne, jouée à Paris ? Il s’agira donc d’étudier comment les pratiques, l’usage des instruments et la gestualité des musiciens changent la sonorité d’une musique qui se déplace géographiquement. Autrement dit, observer comment se construisent musicalement les ambiances, les saveurs et couleurs locales d’une world music.

Romuald JAMET (doctorant en Sociologie, Paris Descartes)

La musique, vecteur de confiance dans un univers suspicieux. Approche socio-musicologique des milieux anarchistes et autonomes parisiens et berlinois.

L’étude des musiciens anarchistes et autonomes pose des problèmes particuliers au « socio-musicologue » praticien. En effet, plus qu’une implication factuelle (faire de la musique), ces musiciens se réclament d’une éthique, retranscrite dans leurs pratiques musicales. Ainsi le sociologue, souvent suspecté (est-il un « indic » ? un sympathisant ?), est « testé », observé, et questionné sur ses recherches. Cependant, celles-ci créent un intérêt, bien que son avis, en tant que musicien et/ou sociologue, soit toujours suspect. Les musiciens se demandant souvent s’ils ne sont pas l’objet d’une expérience « clinique ».

Cette communication sera donc l’occasion de présenter, dans un premier temps, ces terrains particuliers que sont les mondes musicaux des scènes anarchistes et autonomes à Paris et à Berlin, et ensuite, d’analyser l’engagement du socio-musicologue sur son terrain. La création de la relation de confiance en est un des enjeux majeurs et celle-ci peut en effet s’instaurer grâce à la musique (A. Schutz, J. C. Alexander).

Dans un second temps, nous démontrerons que l’acte de « faire de la musique ensemble » (Schutz) renvoie à ce processus de mise en confiance. Ce concept est d’ailleurs essentiel pour appréhender l’ensemble des phénomènes sociaux existant dans un groupe de musique, et, in extenso, de comprendre les liens existants entre musique et politique.

La musique, les émotions et les valeurs qu’elle véhicule, deviennent ainsi « la voie royale » pour le socio-musicologue, et permet d’appréhender la réalité sociale et la complexité des groupes de musique « engagés ».

Aurélie Helmlinger (CNRS-CREM-LESC, UMR 7186)

Position du chercheur et du musicien dans le contexte antillais, steelbands de Trinidad et Tobago

Praticienne de « pan » (l’instrument principal des steelbands), l’insertion dans ces orchestres en tant que musicienne a été l’un des principaux ressorts de mon travail de terrain, à Trinidad et Tobago.

Le caractère non professionnel des performances, qui s’inscrivent dans un système de compétitions où l’importance numérique du groupe est très important, permet en effet aux étrangers capables d’apprendre le répertoire d’être accueillis à bras ouverts. On verra dans un premier temps la dimension heuristique de ce choix, fait dans le cadre d’un travail sur la cognition musicale. La position de musicienne fut en effet centrale dans l’élaboration des hypothèses de l’analyse de la mémorisation du répertoire dans les steelbands. On proposera la méthode expérimentale comme l’une des solutions possibles pour éviter l’écueil de la subjectivité.

Dans un deuxième temps, on analysera la position délicate du chercheur sur le terrain antillais. Dans un contexte post-esclavagiste où l’idéologie coloniale s’est autant perpétuée que les contre-valeurs, créant un continuum de valeurs opposées, le chercheur est constamment sollicité pour se positionner. Bénéficiant d’un accès privilégié aux positions de pouvoir, l’étranger (ethnomusicologue) peut facilement s’intégrer dans ce système post-colonial. Je me suis vue en effet proposer des positions de l’élite sociale des steelbands (enseignante, chef d’orchestre, arrangeuse), que j’ai choisi de décliner. On évoquera d’autres exemples de chercheurs et étudiants qui ont choisi d’accepter ces rôles. Le choix de se positionner comme une « simple musicienne » s’inscrit dans une prise de parti qui peut se révéler stimulante dans certains milieux, mais que l’on doit maquiller lorsque l’on traite avec l’élite. Comme les trinidadiens, le chercheur doit adapter son positionnement à l’environnement social dans lequel il évolue.