Par Léonor Bolcatto

Photos: Eftychia Droutsa

« Accepter qu’un son soit un son »,

John Cage

Pour le premier K-fé rencontre de l’année 2013, ceux qui ont eu le courage d’affronter le froid glacial qui figeait alors tout Paris, n’ont pas été déçus du voyage. Très vite, oubliant l’hiver, ils se sont laissés emmenés par le récit étonnant et passionnant d’unhomme, un musicien, un ethnomusicologue. Cette rencontre était particulièrement émouvante pour l’équipe de l’association, à qui Bruno Messina a donné toute sa confiancedès sa création.

« On m’a demandé de parler de moi, alors je vais parler de moi » dit-il, presque intimidé par cette requête. Il nous engage à prendre la parole, à l’interrompre pour le questionner, dialoguer avec lui. Mais, comme des enfants qui écoutent une histoire, nous sommes pour ainsi dire suspendus à ses lèvres. Nous osons à peine bouger, de peur qu’un moment d’inattention ne nous fasse rater le cours de son récit.

Il commence par se raconter au présent, en nous disant que le récit de son parcours nous éclairera ensuite sur ce qui l’a amené là où il en est aujourd’hui. Actuellement professeur d’ethnomusicologie au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP), où il a été élève dans son passé, Bruno Messina est également directeur d’un Établissement Public de Coopération Culturelle, qui porte le Festival Berlioz, les Allées chantent, DEMOS Isère et un projet de résidence d’artistes : la Maison Messiaen. Il est en outre médiateur pour la musique auprès de la Fondation de France. Cette multiplicité de compétences est à l’image de la polyvalence qui caractérise bien Bruno Messina.

Son parcours commence donc dans la banlieue de Nice où il vit avec ses parents tous les deux immigrés et venant d’un milieu très modeste. Son père, musicien, souhaite transmettre cette passion et ce savoir à ses enfants. Il les inscrit donc au Conservatoire. Bruno Messina y apprend le piano et la trompette et, fortement encouragé par ses parents, obtient à 13 ans, son premier 1er prix. Il se perfectionne ensuite dans une académie d’été auprès d’un professeur de trompette du CNSMDP, Pierre Thibaud. Il est admis au CNSMDP à l’âge de 16 ans et ne fait plus que de la musique, laissant de côté ses études dans le secondaire. Cette expérience provoque chez lui un rejet des institutions de la musique classique et le pousse à explorer d’autres horizons. C’est pourquoi il se présente et est reçu en classe de Jazz au Conservatoire de Paris. Croyant sortir des carcans académiques, il se rend vite compte que cette filière ne le satisfait guère d’avantage. Il va alors se tourner vers la nouvelle scène de la chanson française où il rencontre entre autres Bénabar, mais aussi va jouer avec des artistes tels que Catherine Lara, Dave, Véronique Sanson, et participer régulièrement à l’émission Dimanche Martin.

À peu près à la même période, lauréat d’un concours de jeunes solistes à Radio France, il a l’occasion de représenter la France pour une série de concerts en l’honneur de l’Europe, organisés en Indonésie.Ses camarades peu reconnaissants de l’accueil fait par les Indonésiens, vont même se plaindre du manque de confort. Bruno Messina, outré par leurs réactions, décide de profiter seul du pays, pour apprendre, connaître et comprendre. Il tombe totalement sous le charme de Java et décide de prolonger son séjour de deux mois. Il a alors 21 ans. De retour en France il n’a qu’une idée en tête : y retourner.

Et c’est grâce à un projet qui lie le souffle dans un art martial indonésien, le pencak-silat, au souffle des instruments à vent, qu’il va obtenir d’abord le soutien de nombreux artistes puis le Prix Villa Médicis « hors les murs » pour mener à bien son projet. Il reste presque deux ans là-bas, s’intègre dans le pays, apprend la langue et le gamelan.

Alors âgé de 23 ans, il se voit obligé de retourner en France où il est confronté à la difficulté de trouver du travail et reconstruire un réseau. Il le vit comme un retour à zéro et retourne à Nice où il connaît l’intermittence et joue dans des bals, des fêtes de villages et des mariages juifs et libanais. C’est à ce moment qu’il décide de passer le baccalauréat pour ensuite rentrer à la faculté de musicologie. Il rencontre à l’université Jérôme Cler et Luc Charles-Dominique, qui le poussent à s’inscrire directement en DEA à Paris. À la Sorbonne il rencontre François Picard qui accepte de diriger son projet de recherche en ethnomusicologie sur les marchands ambulants de Java. Cette recherche l’amène à questionner la musique dans sa relation au timbre et la notion du geste musical, alors qu’il travaille avec des personnes qui ne se considèrent pas elles-mêmes comme des musiciens. Par ailleurs, l’expérience douloureuse de plusieurs barotraumatismes auditifs l’amènera à écouter (et apprécier !) les sons d’une oreille neuve.

Il participe à l’organisation de divers festivals de musique traditionnelle tels qu’un festival autour de la musique occitane et un autre, avec Patrick Vaillant, autour des instruments à plectres. Il se retrouve quelques années plus tard directeur de la Maison de la Musique à Nanterre (qu’il ouvre aux premiers concerts d’ethnomusiKa) et est nommé, la même année, professeur au CNSMDP. Puis, un besoin de renouveau, de défi sans doute, et d’évolution le poussent à la direction d’un nouvel établissement où il va creuser son intérêt pour « le personnage singulier de Berlioz ». Il envisage alors d’étudier ses liens avec la musique traditionnelle de sa région d’origine qu’est le Dauphiné et de les décliner dans ses programmations. Ce sera le sujet de sa thèse en ethnomusicologie et l’occasion d’organiser un nouvel enregistrement de la Symphonie Fantastique en regard des traditions et de l’environnement sonore du Dauphiné. Commence une nouvelle aventure à la direction artistique du Festival Berlioz poursuivie depuis bientôt cinq ans.

Voilà, en quelques mots le parcours riche et incroyable que nous a livré Bruno Messina, un homme qui apprend et se nourrit de chaque expérience, comme une soif de vivre.